La fête de Saint-François d’Assise
Le très révérend Bertrand Olivier, Doyen et Recteur
Il y a vingt-cinq ans, le jour de la Saint-François, j’ai quitté avec un groupe de seize diacres la maison de retraite du diocèse de Southwark, dans la campagne vallonnée du sud de Londres, en Angleterre, près de l’aéroport de Gatwick. Nous y avions fait une retraite avant notre ordination sacerdotale et, ce matin-là, un autocar était venu nous chercher pour nous emmener directement à la cathédrale de Southwark, à temps pour le début du service d’ordination.
Comme vous pouvez l’imaginer, tout le groupe était excité, anxieux, craintif et impressionné par cette nouvelle étape après notre ordination diaconale un an auparavant. Nous avions déjà travaillé dans des paroisses pendant un an et avions donc déjà fait face à des changements radicaux dans nos vies. Les tâches et les responsabilités de la prêtrise étaient une autre étape à franchir pour laquelle nous nous sentions peu préparés et indignes, même si l’Église en avait décidé autrement, que les évêques étaient alignés pour nous imposer les mains, que les congrégations s’étaient rassemblées à la cathédrale et que les familles avaient convergé afin d’assister à ce nouvel événement sur notre chemin de foi. Une sacrée journée nous attendait.
Alors que nous sortions dans cette lumineuse matinée d’automne anglais, quelque chose nous a semblé anormal. En observant les champs vallonnés qui nous entouraient, nous avons remarqué qu’un mouton d’un troupeau voisin était tombé et se trouvait sur le dos. Une fois dans cette position, les moutons sont incapables de se redresser, et ils courent un certain danger pour eux-mêmes.
Que faire, alors que notre car attend, que nous sommes dans nos plus belles chemises et costumes de clercs fraîchement repassés, pleins d’idées de Royaume et d’Eucharistie, de sacrements et de musique de cathédrale, et que nous avons certainement le trac devant tout cela ?
En fin de compte, il n’y avait pas d’autre solution, nous devions faire ce qu’il fallait pour cette brebis. Ainsi, un groupe d’entre nous s’est aventuré dans le champ, et après quelques soulèvements, nous avons réussi à redresser le pauvre animal, et à le ramener à sa vie de pâturage et de contemplation pas si sûre. Et nous sommes partis en direction de la cathédrale, en nous demandant s’il y avait eu un signe, une métaphore du ministère ordonné, et si cet événement pouvait parfois faire une bonne histoire pour un sermon.
Et donc aujourd’hui, alors que je célèbre le vingt-cinquième anniversaire de mon ordination sacerdotale, je me suis souvenu de cet événement en réfléchissant aux nombreux fils qui s’assemblent en ce moment, en ce lieu, aux nombreuses choses qui sont tombées et qui doivent être redressées, remises à l’endroit, une tâche sans fin. Pourtant, lorsque je repense à ces vingt-cinq années, je suis reconnaissant de l’aventure dans laquelle j’ai été propulsé lorsque j’ai répondu oui à Dieu et reconnaissant de l’extraordinaire privilège de pouvoir être là pour les gens dans les hauteurs de leurs joies et dans les bas-fonds de leur détresse et de leur chagrin, d’indiquer où les bénédictions existaient déjà et d’essayer d’apporter davantage de bénédictions lorsqu’elles étaient rares.
Cet appel, comme celui auquel saint François a répondu, et ceux auxquels beaucoup d’entre nous répondent aussi, était inattendu, incommode, et a conduit à l’abandon de beaucoup de suppositions et d’attentes afin d’essayer d’être fidèle et de suivre où je, où nous, sommes conduits.
Les lectures proposées aujourd’hui sont très différentes de celles sur lesquelles j’ai prêché il y a quelques semaines, au début de cette saison de la création, et pourtant, elles vont dans la même direction.
Notre première lecture, tirée du prophète Jérémie, est brutale et rappelle à ceux qui détiennent l’autorité, et à nous tous, que connaître Dieu, ce n’est pas profiter de l’injustice et de l’iniquité pour accroître notre pouvoir ou amasser une richesse à laquelle nous n’avons aucun droit.
Construire des palais et des réserves d’argent sur le dos de travailleurs qui ne sont pas rémunérés correctement pour leur travail est un anathème pour Dieu, et un abus de pouvoir.
C’était vrai pour les rois de l’Ancien Testament, et c’est toujours vrai pour ceux qui, aujourd’hui, cherchent à diriger le monde par le biais de régimes autoritaires ou de sociétés transnationales qui exploitent les travailleurs et les paient le moins possible tout en détruisant notre environnement pour le profit.
Prendre en compte la cause des pauvres et des nécessiteux est primordial aux yeux de Dieu – c’est la seule façon de connaître Dieu, dit le prophète. C’est ainsi que saint François a compris sa vocation, en renonçant à tout et en embrassant une vie de pauvreté totale.
Paul, dans sa lettre aux Galates, nous rappelle que la croix du Christ a apporté la rédemption au monde, en créant pour nous une nouvelle relation avec Dieu et le monde. Ce n’est pas notre passé qui compte – religieux ou autre – mais les marques du Christ – visibles ou invisibles – qui nous distinguent du monde. Paul les portait, au plus profond de son âme et rayonnait dans sa vie post-conversion. Et saint François les a littéralement reçues sous la forme de stigmates, les plaies du Christ dans ses mains et ses pieds.
Pour nous, elles sont souvent moins intenses et moins visibles, mais elles se manifestent chaque fois que nous prenons le parti des pauvres et des marginaux, chaque fois que nous disons la vérité au pouvoir, chaque fois que nous mettons notre vie en danger pour témoigner de notre Dieu de justice, de paix et d’amour.
Et au cas où nous penserions que cette tâche est réservée à de brillants théologiens universitaires, à une caste distincte d’illuminés, Jésus – dans le passage rapporté par Matthieu – nous rappelle qu’en fait, la simple vérité du plan de Dieu peut être perçue beaucoup plus facilement par les enfants, ceux qui sont capables de voir le monde tel qu’il est, sans a priori.
Ils ont la capacité de s’émerveiller de la beauté pure qui les entoure, de se réjouir de l’insecte, de la fleur, du soleil et de la lune, et de tout ce qui fait que la création de Dieu est toujours un paradis, malgré la destruction volontaire et continue de l’humanité. Et ils peuvent aussi reconnaître immédiatement l’injustice, l’inégalité et les abus, dont ils savent qu’ils ne peuvent pas être expliqués, quoi qu’il arrive.
La main de Dieu est dans tout ce que nous voyons – et si nous choisissons de regarder et de laisser tomber nos présomptions d’adultes, nous pourrons peut-être reconnaître à nouveau son œuvre, au lieu de présumer qu’elle est la nôtre. Les chrétiens celtes pourraient appeler cela regarder le grand livre de la création, par opposition au petit livre des écritures. Nous pourrions l’appeler humilité et crainte, attention, contemplation ou simplement attention à notre appel baptismal.
Un appel qui, grâce à l’action du Saint-Esprit en nous, individuellement et collectivement en tant que communauté ecclésiale, nous pousse à rejeter tout ce qui est mauvais en cherchant à mieux suivre le Christ.
Alors que la Saison de la Création touche à sa fin, nous savons bien sûr que cela ne signifie pas que notre attention se détourne des nombreux maux qui continuent à rapprocher notre belle planète d’une destruction catastrophique. Au cours de l’année écoulée, nous avons constaté une augmentation du nombre d’événements climatiques majeurs inattendus qui affectent la vie des gens – plus récemment l’ouragan Fiona dans les Maritimes, l’ouragan Ian en Floride et le typhon Noru en Asie du Sud-Est.
Des vies sont perdues, des terres sont submergées par la montée du niveau de la mer et des îles disparaissent. Les ressources naturelles – comme l’eau potable – vont se raréfier.
La situation est effrayante et urgente, mais nous ne devons pas perdre espoir. Il y a des actions que nous pouvons entreprendre, individuellement et collectivement. Et nous devons prendre nos politiciens à partie pour leurs échecs dans ce domaine et leur collusion continue avec les grandes entreprises. Pour ceux qui peuvent voter demain, s’il vous plaît, votez sagement, et surveillez vos représentants élus.
L’anxiété climatique devient trop lourde à porter pour certains, mais le message de Jésus reste vrai : “Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et qui portez de lourds fardeaux, et je vous donnerai du repos. Prenez mon joug sur vous, et apprenez de moi, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez du repos pour vos âmes. Car mon joug est facile, et mon fardeau est léger.”
Nous sommes appelés à croire que Jésus est là avec nous, qu’il nous offre du répit et du réconfort, et qu’il nous aide à aller de l’avant lorsque tout nous semble trop lourd à porter.
Si seulement nous avions la foi aussi petite qu’un grain de moutarde, nous serions capables de déplacer des montagnes, avons-nous entendu récemment. Mais nous savons aussi que pour celui en qui nous avons la foi, tout est possible.
Ainsi, nous devons aussi avoir confiance en Dieu par Jésus-Christ, car nous savons que sans Dieu, rien ne sera possible.
Nous devons être animés par notre Foi, la Foi qui a transformé la vie de François d’Assise, d’un riche héritier à un pauvre errant, ayant tout abandonné mais ayant tout gagné. Et une foi qui nous rappelle qu’en fin de compte, ce n’est pas nous qui contrôlons la situation, mais Dieu.
Notre foi en Jésus-Christ n’est pas une promesse de vie confortable à l’ombre d’un beau crucifix, mais plutôt une promesse que nous pouvons être appelés à un endroit très inconfortable, y compris le lieu de torture de la croix, et pourtant être appelés à témoigner de notre foi en lui dans notre façon d’agir avec les autres.
Alors que nous arrivons au terme de la saison de la Création, que l’Église du monde entier a réservée à la prière et à l’action en faveur de l’environnement, alors que nous nous souvenons de saint François et de sa conception particulière d’une vie consacrée bien vécue, certains d’entre nous ont apporté aujourd’hui des animaux domestiques à bénir.
Ces animaux jouent un rôle important dans nos vies en nous montrant des facettes de Dieu dont nous ne sommes peut-être pas conscients, et nous rappellent que la planète n’est pas simplement là pour que nous la soumettions à notre volonté, mais au contraire pour que nous la maintenions comme un lieu de vie pour toutes les créatures de Dieu, pour toute la création de Dieu.
En célébrant saint François, rappelons-nous non seulement son amour pour la nature, mais aussi qu’il a renoncé à toute richesse matérielle afin de pouvoir vivre pleinement la vie de celui qui errait en Galilée avec ses douze amis, prêchant l’Évangile de l’amour de Dieu et de la plénitude pour tous.
Amen