La fête de saint François d’Assise
Jér 22, 13-16 ; Ps 148, 7-14
Gal 6, 14-18 ; Matt 11, 25-30
En août 1224, saint François emmena trois de ses compagnons dans le forêt pour un temps de jeûne et de prière. Ils s’y rendirent parce que François était mourant et qu’il cherchait un endroit pour se préparer à sa mort. Ensemble, ils gravirent une montagne appelée l’Alverne. Une fois arrivés, les frères ont construit des cellules rustiques, tandis que François s’est retiré plus loin dans les bois, au-delà même de leur regard. Il passe son temps à prier, à lire les évangiles, à méditer la Passion du Christ. La veille de la fête de la Sainte-Croix, François a passé toute la nuit en prière. Au lever du soleil, il semble avoir eu une vision : un séraphin cloué sur une croix, planant au-dessus de lui. L’esprit de François fut pris dans un ravissement d’amour et de joie ; lorsqu’il revint à lui-même, une douleur aiguë lui révéla les marques de la croix sur ses mains et ses pieds – faisant de lui la première personne connue à avoir été marquée par les stigmates.
Que penser d’une telle histoire ? À une époque scientifique et sceptique, elle soulève des questions sur les manifestations psychosomatiques, sur la nature des miracles, sur notre propre crédulité. Et pourtant, sous tout cela, les stigmates de François – et sa vie – nous confrontent à des questions profondes : Comment notre foi se manifeste-t-elle dans notre chair ? Comment se manifeste-t-elle dans notre vie ? Comment sommes-nous marqués en tant que disciples du Christ, et à quelle profondeur laissons-nous cette marque s’étendre ?
Peu de personnes ont été marquées par le Christ aussi profondément que François, que nous commémorons aujourd’hui. Fils d’un marchand de tissus prospère, François a passé ses premières années dans le respect de la mode : il buvait, faisait la fête, portait de beaux vêtements et nouait des liens précieux avec les jeunes nobles qui n’étaient que trop heureux de festoyer à ses dépens. En 1202, une ville voisine déclare la guerre à Assise ; le jeune François prend la défense de sa ville natale, est capturé et passe un an en prison. À son retour, il reprit son ancienne vie, mais son cœur n’y était pas. Il avait vu avec quelle facilité les plaisirs auxquels il avait consacré sa vie pouvaient lui être enlevés, et son cœur s’était mis à chercher quelque chose qui durerait.
Pour beaucoup d’entre nous, je pense que la partie la plus inquiétante de toute cette période Covid a été la rapidité avec laquelle des modes de vie et des institutions entières, que nous avions considérées comme faisant partie intégrante et essentielles de notre société, ont pu simplement s’arrêter. Les gens ont travaillé dans des bureaux depuis au moins le XVIIIe siècle. Nous avons mangé dans des restaurants depuis des temps immémoriaux. Faire de la musique ensemble, se réunir avec des amis, faire les courses sans crainte – tant de la substance de notre vie quotidienne a été suspendue que tout semble un peu illusoire. Comme si elle allait disparaître si nous essayons de la saisir trop étroitement. C’est le moment où François s’est retrouvé.
La réaction de François était simple: il a cessé de saisir. Au lieu de cela, il a ouvert ses mains et a donné tout ce qu’il avait : argent, biens, statut, abri, réputation et, surtout, tout l’amour de son cœur. Il a donné son coeur à une dame qu’il a nommée la Dame Pauvreté, un engagement à une vie de simplicité radicale.
Il est facile de voir cela comme un geste romantique, le genre de chose qu’un jeune homme passionné qui avait aspiré à être chevalier, couvert de gloire, pourrait faire, s’il choisissait, à la place, de suivre le Christ. ( Certainement, le rejeter de cette façon pourrait nous tirer d’affaire.) Mais plus que cela, c’était une critique cinglante des façons dont l’argent corrompait la société de son temps, incarnée dans le succès du père même de François. Aujourd’hui, il nous semble naturel de porter de l’argent dans nos poches, soit sous forme de billets de banque et de pièces métalliques, soit sous forme de cartes plastiques avec des jetons, mais à l’époque de François, l’argent était encore en train de devenir le principal moyen d’échange. Le troc était plus répandu, bien que les célèbres commerçants italiens, allant à l’étranger, utilisaient également des pièces d’argent. Ce n’est qu’en 1252 – presque trente ans après la mort de François – que la première ville italienne a commencé à frapper des pièces en or pour la première fois depuis la fin de Rome. François a donc vécu à un point d’inflexion, et ce qu’il a vu, c’est que ces petites pièces d’argent formaient un mur entre les gens qui était plus difficile à franchir que les énormes murs de pierre de la ville. Ces réserves d’argent permettaient à quelques personnes d’amasser des richesses qui dureraient plus d’un an, comme les réserves de céréales ne le feraient pas. C’est ainsi que les divisions sont apparues et se sont répandues.
François a choisi de vivre sans : sans pièces de monnaie, sans murs. Lorsqu’il commença à parcourir les collines, reconstruisant de ses propres mains des chapelles en ruine, son père l’affronta, exigeant la restitution du tissu que François avait vendu pour financer ses efforts. Les gens de la ville se rassemblèrent sur la grande place ; l’évêque exposa le cas. François répondit avec joie, remettant immédiatement non seulement l’argent qu’il lui restait, mais aussi les vêtements qu’il portait. Nu, il proclamait à l’audience de tous : “Jusqu’à présent, j’ai appelé Pierre Bernardone mon père, mais maintenant je désire servir Dieu. C’est pourquoi je lui rends son argent, pour lequel il s’est donné tant de peine, ainsi que mes vêtements et tout ce que j’ai eu de lui, car désormais je ne veux plus rien dire d’autre que “Notre Père, qui es aux cieux”. Puis, acceptant une tunique d’un des serviteurs de l’évêque, il quitta la ville, se réfugiant dans les collines et trouvant son cœur ému de joie par la beauté de la création.
Le saint est célébré pour son amour de la nature, pour avoir parcouru les collines enchantées par leur beauté, pour avoir prêché aux oiseaux, pour les avoir achetés en captivité et les avoir libérés. Alors même que lui et ses amis se rendaient à l’Alverne, des volées d’oiseaux se sont rassemblées pour les accueillir, se posant sur les bras de François et chantant dans la joie. Mais cette unité mystique avec toutes les créatures perd de son poids si nous ne la considérons pas comme faisant partie intégrante de l’engagement de François à ne se séparer de rien : ni de la pauvreté, ni des lépreux, ni de la souffrance, ni de la mort. Dépouillés de leurs biens, François et ses compagnons pouvaient interagir avec les pauvres à leur propre niveau, en travaillant dans leurs champs, en acceptant la nourriture qu’un pauvre fermier pourrait vouloir partager en réponse, et même en mendiant du pain quand c’était nécessaire, et en le faisant avec un cœur joyeux. Au cours de sa vie, le saint médita sans cesse sur les paroles de Paul : “Que Dieu me garde de me glorifier, sauf dans la croix du Christ” (Gal 6, 14), la croix qui réconciliait le monde avec Dieu, dissolvant tout point de division dans l’amour transcendant de Dieu. Pas mon père, mais le nôtre.
Le miracle, c’est que les gens l’ont compris : ils ne l’ont pas tourné en dérision comme un fou, mais l’ont vu comme un signe d’amour. À une époque comme la nôtre, où l’Église s’était accommodée des pratiques des grands, où ses dirigeants ont choisi leur propre confort plutôt que les disciplines de l’amour, ont disséqué la vérité de Dieu comme des philosophes plutôt que de montrer le fruit de l’amour, la vérité pure de l’Évangile est redevenue crédible, incarnée dans un jeune homme et dans ceux qui ont choisi de le suivre. Il y a là des leçons pour nous, qui vivons, comme François, dans un endroit où l’église s’est discréditée par des abus, et où les incroyants regardent nos vies et se demandent si notre foi fait la moindre différence. Nous savons ce que nous devons faire.
François a toujours été attiré par ceux qui ont été rejetés ou évités, par les pécheurs, les bandits, les méchants ou ceux qui ont été maltraités. Parmi eux, les lépreux tenaient une place particulière dans son affection, car, dans sa jeunesse, il les avait craints par-dessus tout. Les biographes racontent que François et ses frères étaient assistants dans un hôpital pour lépreux. Il y avait là un homme si amer que même les frères ne pouvaient le tolérer, car il maudissait la Vierge Marie. Alors François est entré en lui-même, en disant : “La paix soit avec vous”. L’homme s’est écrié : “Quelle paix puis-je recevoir de Dieu, qui m’a enlevé ma paix et toute bonne chose ?” Alors François a proposé de l’aider, et l’homme a regardé François droit dans les yeux et lui a dit : “Baigne-moi.” Or, la seule chose qu’on ne faisait pas, c’était de toucher un lépreux. La lèpre se propageait par le toucher, et la distanciation physique était la seule défense. Néanmoins, François a fait chauffer de l’eau. Puis il a soigneusement déballé tous les bandages de l’homme, exposant sa chair puante et pourrie, et, prenant un chiffon propre, il a lavé l’homme. Et partout où François touchait la peau de l’homme, il devenait entier. Finalement, l’homme se leva et expia sa rage, car il avait goûté à l’amour de Dieu.
Quand François a parlé d’amour, il a parlé de cet amour : de l’amour qui restaure la communauté, qui enlève toute source d’amertume, qui fait entrer le paria dans le bercail, qui ne fuit aucun homme. C’est l’amour qu’il a vécu, l’amour que nous devons vivre si nous voulons que notre vie soit marquée par notre engagement envers le Christ. Il est temps – il est plus que temps – de cesser d’avoir peur de cet engagement, de devenir disposés à mettre de côté tout ce qui nous sépare les uns des autres. Ne pas s’accrocher à nos diplômes, à notre éducation, à nos belles maisons, comme s’ils étaient la mesure de notre valeur, alors que le véritable or en nous est l’image de Dieu, que nous n’avons rien fait pour gagner, et qui ne peut être enlevé – seulement caché par notre désir d’être plus que les autres, alors que le chemin qui mène à Dieu mène toujours vers le bas, et ne peut être parcouru qu’à mains vides. L’histoire de François et du lépreux nous présente deux chemins : le chemin de l’amertume, qui considère la perte comme un tourment, et le chemin de la sainteté, qui embrasse la perte avec joie. La perte, bien sûr, viendra : “l’empressement est tout”. (Hamlet, V.ii.218)
Jeudi matin, je suis allé au parc avec mon chien et mon livre préféré sur François. J’avais l’intention de lire, mais tout était si beau, une parfaite journée d’automne. J’ai été envoûtée par la lumière qui brillait sur l’eau et, au-delà, par un flottement de feuilles dorées, comme si cette lumière avait pris chair. La colline était saupoudrée de fleurs de couleur lavande et il y avait une brise fraîche. Les oiseaux s’élevaient et tombaient, leurs ailes traçant des arcs éphémères dans le ciel. Je me suis dit : “S’il n’y avait eu qu’aujourd’hui, tout cela en aurait valu la peine.” Et puis, j’ai compris dans mon coeur : ce moment de joie était gratuit. Je ne l’avais pas payé et je n’aurais pas pu l’acheter, et on ne pouvait pas me l’enlever. C’était la vérité que vivait François : que le nécessaire est donné, et qu’il suffit de tendre la main, et de verser son cœur en retour.