La présence subtile de Dieu

Le 1er dimanche de Noel

Luc 2 :41-52

La révérende Jen Bourque

Enregistrement du service sur YouTube l’homélie débute à 23:04


Il y a plusieurs années, un ami, un prêtre catholique, m’a dit en passant qu’il prêchait sur les sept douleurs de Marie et en particulier sur cette histoire, celle de Jésus dans le temple.  À l’époque, j’ai remarqué, de façon assez cavalière, que le fait de perdre Jésus – et de le retrouver sain et sauf dans la maison de son Père – semblait quand même moins tragique que les autres douleurs de Marie – la fuite en Égypte, la crucifixion de son fils.  Maintenant, je suis maman et je connais personnellement la peur de perdre un enfant, à date, toujours que pour quelques instants.  Comme mon ami qui est beaucoup plus sage, je comprends maintenant pourquoi cette scène se compte parmi les douleurs de Marie.

Malgré cette peur, il y a quelque chose de si profondément ordinaire dans cette scène, la seule d’une poignée que nous ayons de l’enfance de Jésus.  Un voyage en famille.  La vie dans le genre de village dont les parents ont besoin pour élever leurs enfants, avec des tantes, des oncles et des amis sur lesquels on pouvait compter, avec des bandes d’enfants qui pouvaient se balader ensemble, testant leur autonomie en passant d’une famille à l’autre.  Et pourtant, en même temps, cela met en évidence le caractère extraordinaire de Jésus : tourné vers Jérusalem et le temple dès son enfance, fidèle aux traditions avant de devenir adulte, uni à Dieu d’une manière jamais vue auparavant ou depuis.

La sainte famille vit dans cet équilibre entre le tout ordinaire, avec ses hauteurs de joie, ses profondeurs d’anxiété et son quotidien plus ou moins normal, et les éclairs de la présence de Dieu.  C’est exactement comme notre propre vie – le quotidien de tout ce que nous vivons – la banalité de tous les jours.  Nous avons nos propres joies, quelles qu’elles soient, et nos chagrins et de nos angoisses particulières.  En y prêtant attention, nous voyons Dieu à l’œuvre – ici, là, peut-être pas de tout pendant un bout.

Marc Dumas appelle cette attention à la présence de Dieu “traquer le théologal”, écouter « la présence subtile de Dieu au cœur du monde, une présence-absence impossible à définir ou encore à mettre en boîte. Le théologal est insaisissable, mais Il est pourtant là, dans le feu du buisson ardent pour Moïse, dans le souffle de l’Esprit pour les disciples de Jésus et dans les plis et replis du quotidien. »  Bruno Bélanger, chercheur en soins spirituels à Québec, soutient que l’écoute de ces réalités théologiques “dans les plis et replis du quotidien” est au cœur du travail de l’accompagnement spirituelle ou des soins spirituelles, et je suis convaincu qu’il a raison.[1]  Je suis convaincu que toute vie spirituelle est vécue “dans les plis et replis du quotidien” – comme prêtre et intervenante en soins spirituels, j’ai simplement le privilège d’en entendre beaucoup de différents récits.

Cette “présence-absence” de Jésus est tout à fait littérale dans l’Évangile.  Jésus est là, avec sa famille, dans le temple.  Puis, ils rentrent chez eux, et il n’est plus avec eux.  Marie et Joseph passent 3 jours à interroger leurs amis, à revenir sur leurs pas, à chercher leur fils.  Jésus, Jésus, où es-tu ?  Où pourrais-tu être ?  Pourquoi nous as-tu quittés ?  Quand te retrouverons-nous ?  Leurs paroles préfigurent celles que Jésus prononcera depuis la croix – « Éloi, Éloi, lemma sabacthani, mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

Peut-être vous avez déjà senti comme cela, vous demandant où Dieu pouvait se trouver, ou ressentant le séparation, l’isolement, l’anxiété, le désespoir.  La tradition ignacienne appelle cela “désolation”.  La désolation n’est pas toujours causée par une crise extérieure, bien qu’elle puisse l’être.  Certes, pour beaucoup d’entre nous, ici et dans le monde entier, les deux dernières années ont été marquées par de divers deuils, l’isolement ou le découragement.  Peut-être, cela a semblé être une désolation.  Autrefois, la désolation vient de nos vies intérieures, lorsque nos sentiments et nos actions nous détournent de Dieu et de nos communautés, et nous éloigne de nous-mêmes.  La désolation peut conduire à l’agitation, à la frustration, à la recherche de ces choses qui semblent satisfaire nos désirs, mais qui, en fin de compte, nous laissent encore plus vides.

Mon verset préféré dans ce passage est « Sa mère gardait en elle le souvenir de tous ces événements. »  C’est la deuxième fois que saint Luc nous dit que Marie gardait les souvenirs de la vie de Jésus ; la première fois, c’est lorsque les bergers viennent à la crèche et lui racontent le message des anges.  Je pense que quand Marie se souvient de ces histoires, elle garde précieusement le témoignage de ceux qui savent que Dieu est venu sur terre en son fils.

Marie, à ce stade, a accepté le plan impossible de l’ange et a conçu un bébé, elle s’est enfuie dans les collines pour trouver refuge chez sa cousine, elle a traversé le pays au gré d’un empire qui ne se souciait pas d’elle et de ses semblables.  Elle a mis au monde son enfant dans une étable, a accueilli une foule de visiteurs étranges, a entendu la prophétie de Siméon, a été réfugiée de sa patrie, a perdu son enfant et l’a retrouvé.  Marie l’a également enveloppé dans des langes douillets, l’aura aidé à apprendre à compter ses doigts et ses orteils, lui aura tenu une toute petite main pour ses premiers pas, l’aura écouté alors que ses balbutiements devenaient des mots, puis des questions, puis des conversations.  Elle l’aura vu grandir jusqu’à devenir presque un homme, la dépassant peut-être.  Toutes ces choses, et bien d’autres encore, sont devenues les trésors de son cœur, la connaissance de l’Emmanuel, Dieu-avec-nous, dans la personne de son fils.

J’adore l’idée qu’elle conserve tous ces histoires précieusement, comme dans une boîte à trésors, qu’elle y revient encore et encore pour y réfléchir.  Ces souvenirs sont accessibles quand elle en a besoin pour faire appel à son amour pour son fils, et à sa croyance qu’en lui, Dieu est vraiment présent avec elle, avec nous.

Lorsque j’entends de la part de ceux que je rencontre en tant qu’aumônier ou pasteur des histoires qui parlent de la présence de Dieu, ou qui racontent l’émerveillement ou l’amour, la joie ou la paix, je suggère parfois cette image – stocker ces histoires dans la boîte à trésors de votre cœur, les ressortir quand vous en avez besoin.  Je le fais moi-même depuis longtemps, me garder la souvenir des moments d’émerveillement et de proximité avec Dieu, pour y revenir lorsque je me sens moins sûr, plus éloigné.  Ce sont les évènements et des souvenirs qui me rappellent pourquoi je suis prêtre, pourquoi je suis chrétien quand cela semble plus difficile.

Ces expériences d’être proche de Dieu, de sentir la présence de Dieu, de savoir que ce que nous faisons est en accord avec notre vraie vocation, sont, selon Ignace, des moments ou des sentiments de consolation.  C’est l’expérience opposé de la désolation, a sentiment que nous nous rapprochons à Dieu, et que nos tissons des liens de plus en plus forts avec nos voisins.  Comme pour Marie, la consolation peut s’agir d’une joie profonde et tranquille qui survient même lorsque nous font face aux défis.

Si nous devons prêter attention à ces moments de consolation et de désolation, c’est en partie parce qu’ils nous donnent des repères dans notre vie spirituelle.  Avec la pratique, nous grandissons dans notre capacité à faire la différence entre le défi et la désolation, entre les conforts passants qui nous distraient, et la joie et la paix véritables qui retournent nos cœurs vers Dieu.  Revenir à des expériences de consolation – les fixer dans nos cœurs, les retourner à la recherche du nouveau sens qu’elles peuvent contenir – peut offrir la promesse et l’espoir que la consolation reviendra, même lorsque nous nous sentons desséchés dans un désert de la désolation.

La bonne nouvelle de l’histoire chrétienne – la joie de Noël – c’est que Dieu a déjà choisi de vivre avec nous dans le Christ, de partager notre vie humaine.  Que la promesse de Noël vous rapproche de Dieu et vous appelle à chérir les signes de la présence de Dieu avec vous, dans les moments de désolation et de défi, et dans les moments de consolation et de joie.


[1] Dumas, Marc. 2010. “La spiritualité aujourd’hui : entre un intensif de l’humain et un intensif de la foi.” Théologiques, 18(2), 199–211 and Bélanger, Bruno, Line Beauregard, Mario Bélanger and Chantal Bergeron.  “The Quebec Model of Recording Spiritual Care: Concepts and Guidelines.”  In Charting Spiritual Care: The Emergening Role of Chaplaincy Records in Global Healthcare.  Edited by Simon Peng-Keller and David Neuhold, Cham: Springer, 2020. (eBook) https://doi.org/10.1007/978-3-030-47070-8

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