
Quand l’heure fut venue, Jésus se mit à table avec les apôtres. Il leur dit : « Combien j’ai désiré prendre ce repas de la Pâque avec vous avant de souffrir ! Car, je vous le déclare, je ne le prendrai plus jusqu’à la venue du règne de Dieu. » Ayant reçu une coupe, il remercia Dieu et dit : « Prenez cette coupe et partagez-la entre vous ; car, je vous le déclare, dès maintenant je ne boirai plus du fruit de la vigne jusqu’à ce que vienne le règne de Dieu. » Puis il prit du pain et, après avoir remercié Dieu, il le partagea et leur donna en disant : « Ceci est mon corps qui est donné pour vous. Faites ceci en mémoire de moi. » Il leur donna de même la coupe, après le repas, en disant : « Cette coupe est la nouvelle alliance, qui est conclue grâce à mon sang versé pour vous. Mais regardez : celui qui me livre est ici, à table avec moi ! Certes, le Fils de l’homme va mourir selon ce que Dieu a décidé ; mais quel malheur pour celui qui le livre ! » Ils commencèrent à se demander les uns aux autres qui était celui d’entre eux qui allait faire cela. Les disciples se mirent à se disputer vivement pour savoir lequel d’entre eux devait être considéré comme le plus important. Jésus leur dit : « Les rois qui commandent leur peuple en maîtres et ceux qui exercent le pouvoir se font appeler “bienfaiteurs”. Mais il n’en va pas ainsi pour vous. Au contraire, le plus important parmi vous doit être comme le plus jeune, et celui qui commande doit être comme celui qui sert. En effet qui est le plus important, celui qui est à table ou celui qui sert ? Celui qui est à table, n’est-ce pas ? Eh bien, moi je suis parmi vous comme celui qui sert ! Vous avez tenu bon avec moi à chaque instant dans mes épreuves ; et de même que le Père a disposé du règne en ma faveur, de même j’en dispose pour vous : vous mangerez et vous boirez à ma table dans mon royaume, et vous siégerez sur des trônes pour juger les douze tribus d’Israël. (Luc 22, 14-30)
Le souvenir le plus vif de mon enfance concerne les tables. Lorsque l’on grandit dans une culture qui considère le repas en commun comme le compagnonnage le plus important, la table devient le centre de toutes les occasions sociales. Les excuses ne manquent pas pour se réunir autour d’une table : anniversaires, mariages, enterrements, fêtes religieuses ou le dernier épisode de la série télévisée la plus populaire.
Le passage d’aujourd’hui porte également sur une table : Jésus et ses disciples, pour la dernière fois, se réunissent autour d’une table à dîner. Chaque fois que je lis ce passage de l’Évangile de Luc, mon imagination biblique me rappelle les tables de mon enfance. J’imagine toujours Jésus et ses disciples lors d’une soirée intime. Ils apprécient leur repas, ils font des blagues, ils revisitent leurs souvenirs communs. Cependant, cette table est différente de celles que j’appréciais dans mon enfance. Cet événement est différent de tous les autres événements qui se sont déroulés dans ce monde. C’est la nuit qui précède les trois jours les plus importants du cosmos : Jésus mourra et sera bientôt enterré, et il ressuscitera le troisième jour. La table de Jésus deviendra bientôt un banquet céleste pour tout le monde.
Dans ce passage, les disciples apprennent que leur rabbin les quittera bientôt. Il semble que ce soit un moment opportun pour se dire au revoir et profiter une dernière fois de leur temps ensemble. Mais les disciples semblent plus intéressés par la politique interne de leur communauté. Ils posent une question sans effet : Qui est le plus important ? Comme nous le savons par les évangiles, les disciples de Jésus, la plupart du temps, se débattent avec le sens du ministère de Jésus. Cette fois-ci, il n’en va pas autrement. Jésus prédit sa souffrance, institue l’Eucharistie comme la pratique la plus significative de la communauté, et prédit qu’un de ses disciples le trahirait. Au lieu d’essayer de comprendre les paroles eschatologiques de Jésus, les disciples préfèrent se comparer les uns aux autres. Au lieu de se concentrer sur le dernier moment de l’unité autour de Jésus, ils préfèrent se préoccuper des questions du “soi”. Ils passent à côté du point fondamental de cette nuit-là : ils sont tous les disciples bien-aimés de Jésus, même Judas. Dieu, cette nuit-là, ne les appelle pas à se remettre en question mais à s’accueillir les uns les autres.
Après deux millénaires, Jésus accueille toujours ses disciples autour de sa table. La même table aimante et accueillante est dressée encore et encore dans différentes églises. Chaque service de culte atteint son point ultime à l’Eucharistie. Pendant notre célébration, nos portes sont ouvertes ; nous invitons les gens chaque dimanche à glorifier Dieu et à se laisser prendre par la présence de Dieu.
Cependant, l’Eucharistie n’est pas limitée à un moment particulier ; l’Église, à chaque instant, est une communauté eucharistique. Après chaque service, les gens sont invités à prendre un café autour d’une table pour se faire des amis. L’Eucharistie nous accompagne lorsque nous servons le café. Nous nous asseyons autour de notre Seigneur lorsque nous sommes assis les uns à côté des autres. La nature eucharistique du culte imprègne chaque partie de notre vie communautaire. Nous célébrons l’Eucharistie chaque fois que nous nous réunissons pour adorer, prier ou nous porter volontaires pour nos missions.
Même lorsqu’il n’est pas sûr d’être physiquement présent dans notre église, le caractère eucharistique de notre communauté n’a pas changé. Pendant la pandémie, nous avons trouvé de nouvelles façons d’être les uns avec les autres, avec nos voisins et donc avec Dieu. Nos rencontres entre nous sont devenues des événements eucharistiques définis par la présence de Dieu. Nous sommes devenus le pain et le vin les uns des autres et avons célébré la présence de Dieu parmi nous. En attendant avec patience et espoir cette saison, nous rendons grâce au fait que Dieu continue à nous rassembler autour de sa table de multiples façons.
— Tevfik Karatop