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D’un ocean à l’autre

La première lecture d’aujourd’hui est le psaume 72. Ce psaume est un éloge à la dynastie davidique, les rois de Juda dans les Écritures hébraïques. Les rois ont été oints d’huile lors de leur couronnement. Quand Israël et Juda ont été conquis par des puissances étrangères, perdant leur souveraineté, des chants comme ceux-ci ont été projetés dans le futur. Ce psaume est devenu une espérance prophétique pour un futur roi qui redresserait tous les torts : un Messie ou Christ (les mots en hébreu et en grec pour “oint”). Les chrétiens croient que Jésus est le Messie, c’est pourquoi les chrétiens lisent des éloges royaux comme ceux-ci comme étant sur Jésus.

Selon les écritures et les dogmes, après la mort et la résurrection du Christ, il est monté au ciel. Jésus est actuellement assis à la droite du trône de Dieu, dirigeant le monde d’en haut. Un jour, tous ses ennemis – le diable et la mort – seront mis sous ses pieds, et il reviendra avec son armée d’anges et de saints pour vaincre les rois rebelles de la terre, et pour juger les vivants et les morts. C’est le contexte que les chrétiens ont lu dans le Psaume 72. Nous croyons que le type de culte que nous voyons dans ce psaume est uniquement dû à Jésus, qui est meilleur et au-dessus de tout souverain terrestre.

En tant que chrétiens, nous pouvons spiritualiser ce psaume, en ne parlant que de la mystérieuse et intangible règle de Jésus, qui n’est pertinente que pour ceux qui ont des sentiments pieux. Nous pouvons également mettre nos chapeaux d’historien et le lire avec une lentille pour enquêter sur les anciennes pratiques royales israélites, et peut-être y a-t-il quelque chose à apprendre de nos ancêtres lorsque nous faisons cela. Ce texte était-il un véritable texte d’espoir, énumérant les idéaux auxquels le peuple et ceux au pouvoir s’efforçaient de se conformer ? Ou était-ce plutôt de la propagande, un beau discours tout à fait déconnecté de la pratique réelle de ceux qui sont au pouvoir, destiné à faire taire la populace et à la contenter ? (en lisant ce que les prophètes ont dit sur la royauté, les historiens pensent que cette dernière option est plus probable). Le problème est de savoir ce que tout cela signifie pour nous aujourd’hui.

Personnellement, je ne trouve guère de réconfort à faire une lecture purement spirituelle des Écritures. Le vrai pouvoir politique est utilisé et mal utilisé ici sur la terre, où nous vivons. Il en va de même pour le pouvoir religieux. L’Église historique a constamment spiritualisé ses perfections idéales tout en étant trop complaisante avec ses fautes terrestres et ses terribles péchés. Je crois que la doctrine de l’Incarnation (selon laquelle, en Jésus, Dieu et l’humanité étaient unis) nous met au défi de réfléchir davantage aux moyens de réconcilier l’humain et le divin.
A mari usque ad mare est la devise officielle du Canada. Cette phrase est tirée du huitième verset du psaume 72. Nous vivons dans une nation laïque qui s’approprie ce texte pour parler de sa propre domination. Les auteurs du Nouveau Testament, des paysans sous la domination de l’Empire romain, l’ont utilisé différemment. Pour eux, des chants royaux comme ceux-ci donnaient un sens aux paroles et aux actions révolutionnaires de Jésus de Nazareth. Ils n’y voyaient pas un outil machiavélique de contrôle social, mais plutôt un espoir honnête d’un nouvel ordre social : Le Royaume des Cieux, que Jésus a annoncé partout, provoquant son éventuelle exécution pour soulèvement politique. Que signifie pour le Royaume de Dieu d’être à portée de main alors que César est assis sur le trône ? Que signifie être un citoyen chrétien dans un gouvernement laïc ?

Aujourd’hui, individuellement et collectivement, nous participons, souffrons ou bénéficions du racisme, de l’impérialisme, du néocolonialisme, du classisme, du sexisme, du capacitisme et d’autres formes variées d’exploitation et d’injustice personnelles et systémiques. Vivant dans une certaine forme de démocratie moderne en tant que citoyens du Royaume étranger de Dieu, nous ne sommes pas impuissants, et nous ne devons pas être sans amour, pour ne rien faire tout simplement. Jésus a beaucoup plus parlé de ce que nous pouvons faire aujourd’hui que de ce qui se passe après la mort. Les réponses faciles sont rares, mais notre devoir est simple : aimez votre prochain comme vous-même, surtout quand il ne vous ressemble pas. Aimez surtout le pauvre, la veuve, l’immigré, l’orphelin.

Réfléchissons à la façon dont Jésus-Christ a agi en tant que roi sur terre, refusant de prendre les moyens d’un gouvernement terrestre tout en ébranlant l’ordre politique, en subissant les conséquences. Puissions-nous apprendre de ses paroles et de ses actes dans les évangiles. Puissions-nous l’imiter en ne nous accrochant pas à notre statut ou à nos droits alors que d’autres en ont plus besoin. Puissions-nous mettre nos privilèges au service de nos voisins. Puissions-nous prier, et que notre foi produise des œuvres d’amour, avec crainte et tremblement, afin que nous soyons jugés dignes de nous tenir devant le roi des rois.

— Lucas Coque

Image: Annie Spratt on Unsplash

 

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